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de l’assemblée, du tribunal, de la campagne, des vaisseaux, des camps, des contrées les plus lointaines, et venait remplir un amphithéâtre de trente mille places pour voir représenter la plus profonde de toutes les tragédies, le Prométhée, pour se ressaisir devant l’œuvre d’art la plus puissante, pour comprendre sa propre activité, pour s’identifier le plus complètement possible avec son essence, son âme collective, son dieu, et redevenir ainsi dans le calme le plus noble et le plus profond, ce qu’il avait été peu d’instants auparavant dans l’agitation la plus infatigable et l’individualisation la plus outrée.

Le Grec, toujours jaloux de son indépendance personnelle la plus grande, poursuivant partout le « tyran » qui, fût-il lui-même sage et noble, pouvait chercher à le dominer et à comprimer son libre et hardi vouloir ; méprisant cette confiante mollesse qui à l’ombre flatteuse d’une sollicitude étrangère se couche pour se reposer paresseusement, égoïstement ; sans cesse sur ses gardes, repoussant infatigablement les influences étrangères, n’accordant à aucune tradition, si ancienne et si respectable fût-elle, un pouvoir sur la liberté de sa vie, de ses actions, de sa pensée actuelles, — le Grec se taisait à l’appel du chœur, il se soumettait volontiers à la convention pleine de sens de l’ordonnance scénique, il obéissait de bon gré