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richesse sont maintenant menacées, et malgré le rétablissement du calme extérieur, malgré le retour complet de la physionomie de la vie sociale, un cuisant souci, une torturante angoisse ronge profondément le cœur de cette vie : la pusillanimité de l’esprit d’entreprise paralyse le crédit ; qui veut conserver sûrement renonce à un gain incertain, l’industrie languit, et l’Art n’a plus de quoi vivre.

Il serait cruel de refuser une pitié humaine aux milliers d’êtres en proie à cette détresse. Il y a peu de temps encore, habituellement, l’artiste en vogue recevait de la classe aisée et insoucieuse de notre société fortunée un salaire d’or en prix de ses productions qui plaisaient, et pouvait prétendre également à la vie aisée et insoucieuse : aussi est-il dur pour lui de se voir aujourd’hui repoussé par des mains anxieusement fermées, et livré à la misère de la lutte pour le pain quotidien : il partage par là le sort du travailleur manuel, qui jadis pouvait occuper ses mains adroites à créer pour le riche mille commodités agréables, et doit maintenant les laisser oisives et les appuyer sur son ventre affamé. Il a donc le droit de se plaindre, car à celui qui souffre la nature a donné les larmes. Mais a-t-il le droit de se confondre avec l’Art même, de considérer dans ses plaintes sa propre détresse comme la détresse de l’Art, et d’accuser la Révolution