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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

occasion, qui ne se retrouvera peut-être jamais. En même temps, il tira de sa poche une espèce d’album, et se dirigea tout droit vers l’homme à la redingote bleue. Exaspéré au dernier point, je saisis de nouveau cet insensé par les basques de son habit, en lui criant avec force : — Avez-vous donc le diable au corps !

Cette altercation éveilla l’attention de l’étranger. Il paraissait deviner avec un sentiment pénible qu’il était l’objet de ce conflit, et s’étant empressé de vider son verre, il se leva pour s’en aller. Mais l’Anglais s’en fut à peine aperçu qu’il fit un violent effort pour s’arracher à ma contrainte, et me laissant un pan de son frac entre les mains, il se précipita sur le passage de Beethoven. Celui-ci chercha à l’éviter, mais le traître ne lui en laissa pas la faculté, il lui adressa un élégant salut selon les règles de la fashion britannique, et l’apostropha en ces termes : — J’ai l’honneur de me présenter au très illustre compositeur et très honorable monsieur Beethoven. — Il fut dispensé d’en dire davantage, car à la première syllabe Beethoven avait fait un écart rapide, et en jetant un regard furtif de mon côté, avait franchi le seuil du jardin avec la rapidité de l’éclair. Cependant l’imperturbable Anglais se disposait à courir après lui ; mais je l’arrêtai d’un mouvement furieux en m’accrochant à sa dernière basque, et lui, se retournant d’un air surpris, dit avec un ton singulier : — Goddam ! ce gentleman