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UNE VISITE À BEETHOVEN

de l’aborder. Ce gentleman est très lunatique. En arrivant, je me suis présenté chez lui jusqu’à six fois par jour, et j’ai été constamment éconduit. À présent, j’ai pris le parti de me lever de très bonne heure et de me poster à cette fenêtre, où je reste jusqu’au soir pour épier la sortie du maestro. Mais je commence à croire qu’il ne sort jamais de chez lui. — Ainsi, m’écriai-je, vous croyez donc que Beethoven était aujourd’hui chez lui, et qu’il m’a refusé sa porte ? — Positivement ! répliqua-t-il ; nous sommes consignés l’un et l’autre, et cela est fort désagréable pour moi, qui n’ai fait le voyage que pour le voir, et nullement pour la cité de Vienne. Cette confidence m’affligea. Je fis pourtant le lendemain une nouvelle tentative ; mais elle fut aussi vaine que les autres ; l’entrée du paradis m’était décidément interdite. Mon Anglais qui, de son balcon, suivait de l’œil mes allées et venues avec une attention scrupuleuse, avait acquis la certitude, par des informations précises, que Beethoven habitait le corps de logis postérieur de la maison, ce qui le désolait fort, mais il n’en persévérait pas moins opiniâtrement dans son système d’observation. Ma patience, au contraire, fut bientôt à bout, et j’avais pour cela des raisons majeures. Une semaine s’était écoulée déjà en démarches infructueuses, et le produit limité de mes galops ne me permettait pas de prolonger beaucoup mon séjour à Vienne.