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DU MÉTIER DE VIRTUOSE

Le dommage principal résultant de l’empiétement du métier de virtuose sur la composition est surtout, comme nous l’avons déjà dit, déplorable en ce qu’il a envahi tous les genres de musique sans exception. Et rien n’est plus affligeant que de le voir régner même dans l’école de l’opéra français, qui se distinguait tellement par son caractère tranché d’indépendance. Les musiciens français ne subissent pas moins l’obligation d’accoupler à des scènes vraiment dramatiques des parties superflues uniquement destinées à faire briller le chanteur au détriment de la vérité théâtrale. Toutefois, il faut leur rendre cette justice qu’ils témoignent presque toujours d’un goût profond et d’un tact merveilleux, en ménageant autant que possible les conventions scéniques, et en intercalant, pour ainsi dire, en dehors du drame, comme de purs accessoires, ces concessions faites à la mode dominante. C’est une sorte de capitulation polie avec les exigences dépravées du public de nos jours, et à ce titre, elle n’offrirait sans doute qu’un faible inconvénient, s’il n’était à craindre que la préférence marquée des auditeurs pour ce genre de futilités n’exagérât de plus en plus la vanité des virtuoses, et n’entraînât, par la suite, les compositeurs, de concession en concession, à trahir irréparablement les plus sacrés intérêts de l’art. Puissent-ils avoir sans cesse présent à leur souvenir l’exemple de Gluck, leur illustre prédécesseur, et se modeler sur la courageuse