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DU MÉTIER DE VIRTUOSE

conséquence directe de faire admettre qu’en général celui-là devait largement user du droit de modifier à son gré le texte auquel il voulait bien prêter l’éclat de la publicité. L’exemple fut donné par le premier virtuose qui eut la fantaisie de surexciter l’attention et la sympathie de ses auditeurs, en mettant exclusivement en relief ses qualités personnelles. L’effet inévitable d’une semblable méthode fut donc que les ouvrages des maîtres furent tous plus ou moins défigurés, suivant que les exécutants étaient doués d’un talent réel, ou simplement d’une certaine habileté machinale.

Telle fut l’origine d’une tradition si fatale à l’art musical. C’est de cette époque que datent les virtuoses à réputation. Ceux-ci, moins pour obviera cette altération déplorable des ouvrages, produit d’une libre inspiration, que pour avoir encore plus d’occasions de faire briller leurs avantages, imposent aux musiciens un nouveau genre de compositions, à savoir celui de morceaux concertants. La condition première de leur facture consistait dans le sacrifice de toute idée artistique et indépendante, et dans un asservissement perpétuel à telle ou telle qualité d’organe ou de doigté propre à chaque exécutant. L’essentiel était d’omettre, d’annuler tout effet musical capable de maîtriser le virtuose malgré lui ou de le rejeter momentanément sur le second plan. Plus le public prit goût aux jouissances superfi-