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DE LA MUSIQUE ALLEMANDE

de pures émotions, mais dont le côté brillant ne tente point leur vanité. Et l’on aurait tort de penser pour cela qu’ils ne font que de la musique banale ; tant s’en faut. Allez les observer, réunis dans une chambre modeste par une soirée d’hiver. Voici un père avec ses trois enfants : deux d’entre eux jouent du violon, l’autre tient l’alto, le père le violoncelle ; ce que vous entendez là, rendu avec tant de précision et de sentiment, n’est pas moins qu’un quatuor composé par ce petit homme qui bat la mesure. C’est le maître d’école du village voisin, et vous ne nierez pas que son travail respire une entente exquise de l’art. Je vous le répète, prêtez à ces concerts bourgeois une oreille attentive, et vous vous sentirez ému, pénétré jusqu’au fond de l’âme ; vous apprendrez à connaître la musique allemande, et vous saurez jusqu’où va le génie instinctif de cette nation. Il ne s’agit pas ici de conquérir un encouragement flatteur par tel ou tel passage brillant et mis exprès en relief. Tout ici respire la bonne foi et la sincérité, et par cela même la noblesse et l’élévation d’esprit.

Mais transportez ces musiciens admirables devant un vrai public, au milieu d’un salon d’apparat, et ils ne seront plus les mêmes ; leur timidité naïve les jettera dans un embarras extrême, et la crainte de ne pouvoir répondre à l’attente des auditeurs leur donnera presque de la honte. Ils s’informeront par quels artifices on réussit à se