Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/28

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
4
DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

villes libres. Le musicien dont je parle habite peut-être une petite ville d’une obscure province ; comment songerait-il à se fonder une renommée là où il n’existe pas même un public ? Supposons pourtant qu’il soit doué d’ambition, ou dans la nécessité de mettre à profit ses connaissances musicales ; il se rendra alors dans la capitale de son duché ou de sa principauté. Mais la résidence est déjà pleine de nombreux et excellents virtuoses et compositeurs, et que de difficultés pour se frayer un chemin dans la foule ! Cependant il y parvient à force de travail et de persévérance. Ses ouvrages obtiennent déjà de la faveur ; mais à vingt lieues de là, dans le duché voisin, nul ne connaît son nom. Que sera-ce donc s’il prétend devenir populaire en Allemagne, et comment y parviendra-t-il jamais ? Il ne se rebute pas encore ; mais durant cette difficile épreuve il vieillit, puis il meurt ; on l’enterre, et sa popularité descend avec lui dans la tombe. Telle est à peu de chose près l’histoire de plusieurs centaines d’aspirants à la gloire musicale que chaque année voit paraître ou disparaître. Comment s’étonner après cela que la plupart de nos compatriotes renoncent de prime-abord à se créer une carrière avec la musique ? On conçoit qu’ils préfèrent choisir une profession quelconque capable d’assurer leur existence, et qui leur permet de s’adonner sans souci, dans leurs instants de loisir, à cette musique qui les charme, qui les console, qui nourrit leur âme