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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

effet. Les terribles paroles qu’il fait entendre sont parfaitement caractérisées par l’accompagnement de l’alto et du violoncelle. L’arrivée de Mocénigo prépare la scène suivante entre Gérard et Catarina, une des plus saillantes qui soient au théâtre. Je signalerai surtout la grâce ravissante de l’air de Gérard, à son entrée : Arbitre de ma vie, ainsi que le motif dans lequel Catarina, quand Gérard vient de lui déclarer qu’il ne l’aime plus, exhale sa douleur, douleur contenue, mais qui n’en est que plus intense ; le compositeur place dans la bouche de l’infortunée des accords si doux et si suavement touchants, qu’ils vous navrent le cœur, et font plus d’effet qu’on n’en obtiendrait avec les sons discordants et les cris.

Quel merveilleux changement voyons-nous s’opérer au commencement du troisième acte ! C’est ici qu’a lieu la transposition du lieu de la scène, dont je parlais plus haut, et à laquelle j’assignais une si grande importance. Dès ce moment, le souffle d’une inspiration nouvelle anime la musique ; ce qu’elle peint, c’est la beauté, le bonheur, la nature dans sa richesse luxuriante : le contraste avec le premier acte est complet. L’air joyeux du chœur des seigneurs cypriotes, Buvons à Chypre, nous place tout à coup dans une sphère nouvelle : ce chœur abonde en vibrations mélodiques, c’est, d’un bout à l’autre, une verve de gaieté et de jouissance insouciante. Le chant des Vénitiens ne manque pas non plus de