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HALÉVY ET LA « REINE DE CHYPRE »

poussé par une partialité passionnée, il s’était obstiné à créer un système absolument neuf, et à vouloir l’imposer au public avec une hauteur impérative d’inventeur, il est certain qu’avec tout son talent, si grand qu’il puisse être, il se fût égaré dans ces inventions, et que son talent lui-même fût devenu inexcusable au public et eût perdu sa valeur dramatique. Et d’ailleurs Halévy avait-il besoin d’y recourir ? N’y avait-il pas devant lui et près de lui des choses belles, grandes et vraies, pour que son regard intelligent et sur pût démêler facilement la route qu’il devait suivre ? Cette route, il l’a trouvée, et aussi il n’a jamais perdu ce sentiment du beau dans les formes, sentiment qui est par lui-même un des caractères essentiels du talent. Sans cela, sans ce soin de travailler et de fixer les détails, comment, en peignant des sentiments si profonds, des passions si fougueuses et si terribles, aurait-il pu éviter d’imprimer au cœur et à la tête de l’auditeur des secousses violentes ? Or, voici ce que c’est : la vérité ne se fait pas moins de tort en se cachant sous des dehors séduisants et conventionnels, qu’en s’imposant hautainement et avec un sentiment exagéré de sa valeur trop souvent méconnue.

Pour me résumer au sujet du changement de direction qu’on remarque dans le talent d’Halévy, à partir de la Juive, je dirai que ce compositeur a renoncé au style stéréotypé de l’opéra français