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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

quand la mélodie exprime des sentiments purement humains, il ne faut pas qu’elle porte les traces de l’origine française, italienne, etc. Ces nuances nationales, fortement accusées, compromettent la vérité dramatique de la mélodie, et la détruisent quelquefois entièrement. Un autre inconvénient qui en résulte, c’est le manque de variété. Et avec quelque esprit, quelque habileté que ces nuances soient motivées, les traits essentiels finissent toujours par se reproduire à chaque instant ; la facilité avec laquelle on les reconnaît lui concilie la faveur populaire, mais elle efface l’illusion dramatique.

En général on reconnaît dans la manière d’Auber un penchant très marqué à arrêter la construction rythmique des périodes ; on ne saurait nier que par là sa musique ne gagne beaucoup en clarté, ce qui est une des qualités essentielles de la musique dramatique, laquelle doit agir instantanément. En cela personne n’a été plus heureux qu’Auber, qui a réussi plus d’une fois à coordonner les situations les plus compliquées et les plus passionnées de manière à les faire comprendre au premier coup-d’œil. À cet égard, je me bornerai à citer Lestocq, une de ses productions les plus spirituelles et les plus solides. Dans cet opéra, la coupe musicale des morceaux d’ensemble nous rappelle involontairement les Noces de Figaro, de Mozart, surtout en ce qui concerne le fini du tissu mélodique.