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HALÉVY ET LA « REINE DE CHYPRE »

Se conformer, s’identifier aux habitudes, aux allures nationales, c’est la seule condition par laquelle le poète et le compositeur, dans le genre comique, agiront sur les masses d’une manière sûre et puissante. Le poète emploiera les adages, les maximes et jeux de mots, etc., qui ont cours parmi la nation pour laquelle il écrit ; le compositeur s’emparera des rythmes et des tours de mélodie, qui se rencontrent dans les airs populaires, ou bien il inventera des tours et des rythmes nouveaux, en harmonie avec le goût et le caractère national. Plus la nationalité de ces airs sera marquée, plus ces airs seront en faveur, et personne n’a mieux réussi dans ce genre qu’Auber. C’est là précisément ce qui a entravé le talent du compositeur dans la tragédie lyrique ; et bien que dans la Muette il ait poursuivi et fait valoir cette direction exclusive avec un talent supérieur, c’est là cependant ce qui est cause que ce maître sans égal dans son genre a beaucoup moins réussi dans ses autres grands-opéras.

J’entends parler ici du caractère dramatique de la mélodie. Hors les cas où il s’agit avant tout de faire ressortir certaines individualités nationales, la mélodie doit avoir un caractère indépendant, général ; car c’est alors seulement qu’il est possible au musicien de donner à ses tableaux un coloris dont il puise les éléments ailleurs que dans son époque et dans le monde où il vit ;