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HALÉVY ET LA « REINE DE CHYPRE »

reuse. Que l’on admette que le compositeur reste toujours le même, que sa force productive ne vienne jamais à faiblir, il n’en est pas moins vrai que le soin de conserver sa réputation de grand artiste ne saurait suffire seul pour exciter chez lui cette exaltation merveilleuse qui donne l’essor au talent ; il faut pour cela cette étincelle divine qui tombe toute brûlante dans l’âme de l’artiste, l’embrase d’une flamme bienfaisante qui circule dans ses veines comme un vin généreux et mouille ses yeux des larmes de l’inspiration, qui lui dérobe la vue de tout ce qui est commun et vulgaire, pour ne plus lui laisser apercevoir que l’idéal dans toute sa pureté. Mais l’ambition seule, si énergique qu’elle puisse être, n’engendrera point cette divine étincelle, et il est vraiment à plaindre, le pauvre artiste qui, après de nombreux triomphes, après avoir manifesté sa puissance créatrice, se voit réduit, au milieu de quelque aride intrigue de coulisse, à courir tout haletant après l’inspiration, comme le voyageur dans le désert court après une source d’eau vive. Quelque envie qu’on puisse porter à ces bienheureux musiciens qui, comblés d’honneurs et tout rayonnants de gloire, ont seuls, parmi des milliers de compositeurs, le droit de parler par les plus brillants organes au premier public du monde, ô vous qui aspirez à une gloire pareille, ne briguez point l’honneur d’être à leur place, si vous les voyez, par une fraîche et belle matinée, se livrer d’un