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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

on n’en avait conçu avant lui : la Sinfonia eroïca. Et comprenant très bien à quelle influence il était redevable de cette création gigantesque, il écrivit sur la première page : Bonaparte. En vérité, cette symphonie n’est-elle pas un aussi grand témoignage de la puissance créatrice de l’esprit humain, que lesr plus glorieuses victoires de Bonaparte ? Et pourtant, je le demande, toute cette composition offre-t-elle le moindre indice de quelque connexité immédiate avec la destinée du héros, qui d’ailleurs n’était point encore parvenu alors à toute la gloire que l’avenir lui réservait ? J’ai le bonheur de n’admirer dans cette symphonie qu’un monument gigantesque de l’art, de me sentir élevé et fortifié par la mâle énergie qu’elle respire, et qui me gonfle la poitrine quand j’écoute ces fiers et sublimes accords, et je laisse à d’autres plus savants que moi le plaisir d’interpréter les hiéroglyphes mystérieux de cette partition, et d’y retrouver les batailles de Rivoli et de Marengo.

L’air fraîchissait de plus en plus ; le garçon venait de rapporter le bol de punch qu’il avait fait réchauffer ; je remplis les verres, et je tendis la main à mon ami.

— Nous sommes d’accord, lui dis-je, comme nous le sommes toujours toutes les fois qu’il s’agit des questions les plus intimes de l’art. Quelle que soit d’ailleurs la mesure de notre talent, nous ne mériterions pas le Jioni d’artiste, si nous pouvions