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UNE SOIRÉE HEUREUSE

le fond de ta pensée, poursuivit R... qui se passionnait de plus en plus. Pour admettre que Beethoven ait combiné le plan d’une symphonie en l’honneur de Bonaparte, il faudrait admettre qu’il n’eût pas été de force à créer autre chose qu’une de ces œuvres de commande qui, dès leur naissance, portent l’empreinte de la mort[1]. Mais il s’en faut du tout au tout pour que la Sinfonia eroïca confirme une telle assertion. Au contraire, si c’eût été là le problème que l’artiste se fût imposé, il l’aurait bien mal résolu. Dis-moi, je te prie, où, quand, dans quel passage de cette composition trouves-tu le moindre trait qui puisse se rattacher, même de loin, au but supposé du compositeur de peindre tel ou tel moment de la carrière glorieuse du jeune capitaine ? Pourquoi la marche funèbre ; le scherzo avec les cors de chasse ; le finale avec cet adagio si doux, si plein de sensibilité et de mélancolie ? Où est le pont de Lodi ? Où sont la bataille d’Arcole, la marche sur Léoben, la victoire près des Pyramides, le 18 brumaire ? Quel compositeur eût passé sous silence de pareils moments, dès qu’il se serait proposé d’écrire une symphonie biographique de Bonaparte ? Mais, en vérité, Beethoven avait un but bien différent. Je vais te communi-

  1. Il y a huit ans, à l’époque où cette conversation eut lieu, mon ami R... ne pouvait connaître la symphonie de Berlioz pour la translation des victimes de Juillet.