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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

teurs par lesquels elles se sont manifestées ici-bas !

— Tu vas trop loin, répondis-je avec calme ; je ne demande pas pour les symphonies de Beethoven la gloire de la rue ni du cabaret de village ; mais ne serait-ce pas pour ces œuvres un mérite de plus, si elles pouvaient parfois dilater le cœur étroit de l’homme du monde ordinaire ?

— Je ne veux pas qu’elles aient un mérite quelconque, ces symphonies, répliqua R... avec un mouvement d’impatience ; elles existent par elles-mêmes, pour elles-mêmes, et non pas pour mettre en joie les épiciers. Que celui qui en a la volonté et la force cherche à comprendre ces révélations, il aura bien mérité de lui-même et de son bonheur ; mais elles ne sont nullement tenues de s’imposer aux intelligences bornées.

Je remplis les verres en riant.

— Toujours le même ! toujours fantasque ! Tu sais qu’au fond nous sommes d’accord, mais tu t’obstines à ne vouloir pas me comprendre. Laissons tout bonnement de côté la popularité des symphonies de Beethoven, et fais-moi le plaisir de me mettre dans la confidence des sensations que les deux symphonies t’ont fait éprouver tantôt.

Le léger nuage qui avait voilé le front de mon ami se dissipa bientôt. Les yeux fixés sur les vapeurs qui s’élevaient du bol placé entre nous deux, il se prit à sourire :