Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/209

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
UNE SOIRÉE HEUREUSE

Beethoven, sont obligés de supposer que, dans les épanchements de son divin génie, l’auteur ait voulu développer quelque roman vulgaire, ce qui fait qu’ils sont tentés de lui chercher noise quand quelque coup imprévu vient déranger l’économie de leur historiette. Ils s’écrient alors avec dépit que le compositeur manque d’unité et de clarté, et qu’il n’y a pas d’harmonie dans les diverses parties de son œuvre !

— Il ne faut pas leur en vouloir, répliquai je ; laisse chacun, selon la portée de ses facultés imaginatives, combiner des contes plus ou moins insipides qui seuls les mettent à même de prendre goût à ces grandes révélations musicales. Combien n’y a-t-il pas de prétendus connaisseurs qui ne sauraient en jouir qu’à l’aide de ces suppositions ? Après tout, tu conviendras que, de cette façon, le nombre des admirateurs de notre Beethoven a reçu un accroissement considérable. Il faut même espérer que, par ce moyen, les œuvres du grand compositeur finiront par arriver à une popularité que, certes, elles n’obtiendraient jamais, si tout le monde leur prêtait un sens purement idéal.

— Au nom du ciel, dit R... vivement, voudrais-tu revendiquer pour ces saintes productions de l’art cette popularité banale, fléau de tout ce qu’il y a de noble et de grand ? Il ne manquerait plus que de réclamer pour elles l’honneur de faire danser les paysans au son des rythmes inspira-