Page:Wagner - Dix Écrits, 1898.djvu/179

Cette page a été validée par deux contributeurs.
155
LE MUSICIEN ET LA PUBLICITÉ

mais jamais quand il s’agit de sacrifier les plus hautes jouissances qu’il soit donné à l’homme de goûter. Pour les cœurs aimants, ce pourrait bien être le désir irrésistible de laisser s’épancher le surplus de l’enthousiasme qui les enivre et de faire participer le monde entier à leur extase. Malheureusement, l’artiste ne voit point le monde tel qu’il est ; il se le représente comme étant à sa hauteur, il oublie qu’il n’est composé que de gens en fracs à la dernière mode et en mantilles de soie.

Ce désir immodéré et funeste de la publicité paraît être tellement vivace, que même aux heures où l’inspiration a cessé, il continue à nous travailler le cerveau, et c’est dans ces heures qu’il faut lui donner le nom d’ambition. Ô ambition pernicieuse, à qui nous devons tous les airs, airs variés, etc., c’est toi qui nous enseignes à ravager systématiquement le sanctuaire de la poésie que nous portons en nous ! c’est toi qui dans ton ironie démoniaque nous pousses à souiller de roulades impudiques un chaste et pur accord ; à resserrer une pensée vigoureuse et large dans un lit étroit de cadences et de niaiseries !

Ô vous, heureux infortunés, aux joues creuses et pâles, aux yeux usés, vous vous êtes flétris au souffle brûlant de l’étude et du travail, afin que le public vous criât bravo ! pour l’enveloppe mensongère dont vous entouriez votre poésie dans les