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DIX ÉCRITS DE RICHARD WAGNER

à un jugement dernier où seront affreusement damnés tous ceux qui, sur cette terre, ont osé faire métier, marchandise et usure de cet art sublime qu’ils profanaient et déshonoraient par malice de cœur et grossière sensualité ; je crois que ces immondes seront condamnés à entendre pendant l’éternité leur propre musique ; je crois au contraire que les fidèles disciples de l’art sublime seront glorifiés dans une essence céleste, radieuse de l’éclat de tous les soleils au milieu des parfums des accords les plus parfaits, et réunis dans l’éternité à la source divine de toute harmonie. Puisse un sort pareil m’être octroyé en partage ! Amen.

Je crus un instant que la fervente prière de mon enthousiaste ami était exaucée, tant son oeil resplendissait d’une lumière céleste, tant il restait immobile dans une extase sans souffle. Vivement ému, je me penchai sur son visage pour reconnaître s’il appartenait encore à ce monde. Sa respiration très faible et presque imperceptible m’apprit qu’il vivait encore. Il murmura à voix bien basse, quoique intelligible, ces mots : — Réjouissez-vous, croyants ; les joies qui vous attendent sont grandes. — Puis il se tut ; l’éclat de son regard s’éteignit ; un sourire aimable resta sur ses lèvres. — Je lui fermai les yeux, et priai Dieu de m’accorder une mort semblable.

Qui sait ce qui, dans cette créature humaine, s’éteignit sans laisser de traces ! Était-ce un