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théâtre ; mais la Marguerite était « un bon rôle ». Le noble poëme, mutilé et méconnaissable, se traîna tristement sur les planches ; mais la jeunesse surtout semblait flattée de pouvoir applaudir tout haut à mainte expression énergique ou spirituelle du poëte. — Les théâtres réussirent mieux, vers la même époque, avec le Guillaume Tell : on en avait fait à Paris un texte d’opéra que l’illustre Rossini lui-même avait mis en musique. Il s’agissait, il est vrai, de savoir si l’on aurait l’audace de présenter aux Allemands leur Tell sous la forme d’un opéra français traduit. Quiconque voulait être édifié une fois pour toutes sur la profondeur de l’abîme qui sépare le génie français de l’esprit allemand, n’avait qu’à comparer ce texte d’opéra avec le drame de Schiller, qui était arrivé en Allemagne à la plus grande popularité. Tous les Allemands, depuis les professeurs jusqu’aux derniers collégiens, les comédiens eux-mêmes, sentirent quelle honte c’était pour eux que cette défiguration repoussante de leur propre essence dans ce qu’elle avait de meilleur ; mais... après tout... un opéra... il ne fallait pas y regarder de si près. L’ouverture, avec l’enivrante musique de ballet à la fin, avait déjà été accueillie par des transports inouïs, dans les concerts classiques, tout à côté des symphonies de Beethoven. On ferma les yeux. En fin de compte, il y avait tout plein de patriotisme là-dedans, plus de patriotisme même que dans le drame de Schiller ; esclavage et liberté faisaient en musique un effet énorme. Rossini s’était efforcé de composer aussi sérieusement que possible ; beaucoup de morceaux ravissants faisaient vraiment oublier tout le Guillaume Tell. Cela réussit, et cela continue toujours à réussir ; et si nous y regar-