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à se réaliser à Paris : le monstre du mélodrame était né ; il dut être apporté à toute force en Allemagne, ne fût-ce que pour obliger Gœthe à quitter la direction du théâtre de Weimar plutôt que de consentir à la représentation du Chien d’Aubry. Mais on voulait arriver à la souveraineté réelle de l’ignoble. On recourut à cet effet à une combinaison toute nouvelle. La verdeur avait été la première base du naturel allemand, au théâtre comme ailleurs ; aucune âme pure ne s’était scandalisée de Gœtz, des Brigands, de Shakespeare ni même de Caldéron, qui s’entendaient très-bien aussi aux crudités : cela n’avait été interdit qu’aux Français, et par la même bonne raison que le vrai-nature, parce que la verdeur ne leur est familière que comme obscénité. La nature comprimée se vengea : ce qui n’eût pas été souffert comme obscénité, se produisit comme frivolité. Kotzebue arrangea« le scabreux», c’est-à-dire le rien absolu qui se montre tellement vide de sens, qu’on cherche quelque chose partout et dans tous les cas, jusqu’à ce que l’obscène bien gardé se montre enfin à la curiosité éveillée, — mais de telle sorte que la police n’y trouve rien à redire. À partir de ce moment, on possédait le type d’un nouveau développement théâtral en Allemagne. Kotzebue envoya à Saint-Pétersbourg ses rapports de conseiller d’État sur la belle tournure des affaires allemandes, et il s’en trouva très-bien. Mais voilà que le 23 mars 1819 un jeune homme en habit vieux-allemand entre chez lui, dans sa chambre, et le tue raide. — C’était un acte inouï, plein de présages, remarquable. Tout y avait été instinctif : le czar de Russie agissait instinctivement quand il se faisait écrire les rapports — seulement inconsidérés, à vrai dire, — de son conseiller d’État ; mais