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verrait disparaître toute vérité et tout bon goût, voire même tout véritable naturel.

La suite du développement du théâtre français par l’affranchissement des règles a, en effet, confirmé ces prévisions : nous verrons, à notre profonde humiliation, comment, sous l’empire de la réaction contre l’esprit allemand, la dernière ruine de l’art théâtral, la ruine de tout art allemand fut aussi amenée par là. Nos grands poètes plièrent sagement ; ils laissèrent les comédiens apprendre, par l’arrangement de quelques pièces françaises conformes aux règles, à sentir les avantages de la culture pour l’art comme pour le reste ; ils comptaient conduire ainsi, dans le port de sa nouvelle patrie idéale, en le préservant de Scylla comme de Charybde, le navire du théâtre allemand qui devait porter la dernière et la plus haute gloire de la nation si longtemps patiente.

Désormais les splendides poètes composèrent et agirent constamment ensemble avec une nouvelle confiance : Gœthe ressentait tant de joie des créations de Schiller qu’il oubliait lui-même de composer et venait d’autant mieux en aide à son ami. Ainsi naquirent, dans la corrélation la plus immédiate avec le théâtre, ces drames augustes qui, depuis Wallenstein jusqu’à Tell, marquent chacun une conquête sur le domaine de l’idéal inconnu, et qui sont à présent comme les colonnes du seul véritable temple de gloire de l’esprit allemand. Et cela fut accompli avec le théâtre. Sans que de grands génies eussent surgi dans ses rangs, toute la corporation des comédiens était alors animée du souffle de l’idéal, et son succès se montra dans la puissante sympathie pour le théâtre qui saisit tous les hommes