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que Schiller ; car à peine eut-il mis le pied sur ce terrain, qu’il franchit sans égard les bornes imposées au poëte par l’insuffisance de l’art dramatique allemand. À la vérité, il ne tenta pas le saut gaulois ; mais l’élan du génie allemand l’entraîna dans ces régions lointaines où le comédien allemand le suit des yeux avec une indifférence à peu près semblable à celle de Méphistophélès quand il regarde le manteau enchanté d’Hélène changé en nuage flottant. Il survécut à Schiller et désespéra de l’histoire allemande : Schiller mourut assez tôt pour concevoir seulement le doute qu’il s’efforça si noblement de combattre. Jamais ami de l’humanité n’a fait pour une société abandonnée ce que Schiller fit pour le théâtre allemand. Si toute la vie idéale de l’esprit allemand se reflète dans la marche de son développement poétique, on peut reconnaître en même temps, dans la série de ses drames, l’histoire du théâtre allemand et de la tentative faite pour l’élever au rang d’un art populaire et idéal. Il serait difficile, il est vrai, d’établir un parallèle entre les Brigands ou Fiesque, déjà remplis d’une complète grandeur poétique, et l’esprit grossier qui présida aux débuts du théâtre allemand dans le système des comédiens anglais ; mais, dans chaque comparaison entre les œuvres de nos grands maîtres et les manifestations correspondantes de la vie populaire, nous nous heurterons toujours à cette triste disproportion, entièrement incompensable. L’accord se montre mieux à partir du moment où nous apercevons chez Schiller lui-même le résultat de ses observations sur les propriétés et les capacités du théâtre. Ce résultat est évident dans Intrigue et amour : cette pièce est peut-être la meilleure démonstration de ce qui a pu être effectué jusqu’à présent en Allemagne