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inconvénient, s’il avait été possible à l’art théâtral de France de se rapprocher du véritable but du théâtre, en adoptant l’idéal du sculpteur et du poète ; mais jamais on n’a écrit pour la scène française une pièce avec une tendance ou dans un sens idéal ; le théâtre, au contraire, resta toujours affecté à l’imitation immédiate de la vie réelle, ce qui lui fut d’autant plus facile que la vie même n’était qu’une convention théâtrale. Là même où, pour la représentation de sphères de la vie socialement élevées ou historiquement disparues, la tendance idéale s’est offerte d’elle-même à toutes les nations poétiques, là surtout et complètement le théâtre français a été détourné de cette tendance par un mirage de convention. Afin qu’il pût toujours se borner à l’imitation de la réalité, la cour de Versailles, qui, à son tour, était entièrement construite d’après des prétentions théâtrales à l’effet, fut présentée comme le seul type du sublime et du noble ; on aurait regardé comme une sottise et une aberration du goût de donner aux héros grecs et romains que l’on voulait représenter avec une dignité suprême, un langage plus relevé, des attitudes plus nobles, en un mot, des pensées et des actes autres que ceux du grand roi et de sa cour, la fleur de la France et du grand siècle. Le bon Dieu lui-même dut se prêter à ce qu’on l’appelât courtoisement : Vous.

Malgré tous les efforts de l’esprit français pour s’élever au-dessus de la vie ordinaire, les plus hauts horizons de son imagination furent bornés de tout côté par des formes visibles et tangibles de la vie réelle, qui pouvaient être imitées, mais non reproduites ; car la nature seule est l’objet de la reproduction esthétique, tandis que la culture ne peut être qu’un objet d’imi-