Page:Wagner - Art et Politique, 1re partie, 1868.djvu/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 42 —

la soif de sang, qui le fait bondir de fureur dans l’attaque. L’histoire nous montre un tigre semblable, bondissant et en même temps sautillant avec grâce, dans le véritable fondateur de la civilisation française moderne : Richelieu , aussi bien que son grand prédécesseur Sully, dansait le ballet avec passion, et l’on raconte qu’une danse scandaleuse le rendit si ridicule, aux yeux mêmes de la reine de France, qu’il en conçut une colère de tigre. Tel était l’homme devant lequel aucune noble tête de France n’était ferme sur son tronc, et qui fonda la toute-puissante Académie, à l’aide de laquelle il emprisonna l’esprit français dans les règles, encore en vigueur aujourd’hui, d’une convention qui lui avait été étrangère jusque-là. Ces règles permettaient tout, sauf l’idéalité ; par contre, un raffinement du réalisme, un enjolivement de la vie réelle, qui ne pouvait être obtenu que par une direction donnée à la nature simiane, signalée par Voltaire chez ses compatriotes, pour leur faire imiter les formes de la cour. Sous cette influence, toute la vie réelle se constitua dans un sens théâtral, et le véritable théâtre se distingua de la vie réelle uniquement en ce que le public et les acteurs, comme pour leur agrément réciproque, changeaient de place de temps en temps. — Il serait peut-être difficile de dire si ce perfectionnement de la vie a pour fondement un talent général des Français pour le théâtre, ou si tous les Français sont devenus des comédiens de talent par suite de ce raffinement conventionnel de la vie. Toujours est-il que chaque Français est un bon comédien ; c’est pourquoi aussi le théâtre français, avec toutes ses coutumes, ses singularités et ses exigences, est imité dans toute l’Europe. Ce résultat serait sans