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réellement le théâtre. Si, depuis lors, il ne nous est plus né de génies comme Gœthe et Schiller, la tâche de l’esprit populaire régénéré consistait précisément à préparer, par la bonne culture de leurs œuvres, une longue floraison que la nature aurait nécessairement suivie par la production de nouveaux génies créateurs : l’Italie et l’Espagne ont éprouvé cette action réciproque. Il n’aurait fallu pour cela que mettre le théâtre en état de célébrer dignement les hauts faits des luttes de Lessing et des victoires de Schiller. Mais, avec un instinct qui ne peut appartenir aux gouvernants qu’en présence de la grande sottise des gouvernés, on s’empara précisément de la scène pour soustraire à l’influence de l’esprit allemand l’admirable srène de ses plus nobles exploits libérateurs. Comment un général habile prépare-t-il la défaite de l’ennemi ? Il lui coupe le terrain, les transports de vivres. Le grand Napoléon dépaysa l’esprit allemand. On prit le théâtre aux héritiers de Gœthe et de Schiller. Ici l’opéra, là le ballet. Rossini, Spontini : les dioscures devienne et de Berlin qui attiraient après eux la pléiade de la Restauration allemande. Mais cette fois encore, le génie allemand devait chercher à se donner carrière ; si le vers se taisait, la mélodie résonna. Le souffle de l’adolescent allemand respira dans les magnifiques mélodies de Weber ; le peuple accueillit son Freischütz avec acclamation ; il sembla vouloir de nouveau pénétrer en vainqueur dans les fastueuses salles, restaurées à la française, des théâtres de cour administrés par une intendance. Nous connaissons les lentes tortures au milieu desquelles le noble maître populaire expia son crime de la mélodie des chasseurs de Lutzow ; nous savons comment il traîna son existence mortellement brisée. La