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croyable dépense de force nerveuse, tout à fait étrangère au reste des hommes, que je fais pour « diriger » ou, plus généralement, pour m’exprimer avec passion. Je reconnus que je deviendrais encore plus souffrant que Berlioz lui-même, si je ne cherchais pas à éviter autant que possible pareilles fatigues, car je sens qu’elles ont une action de plus en plus destructive sur moi. Chez Berlioz, malheureusement, l’estomac est déjà affecté au dernier degré et — si trivial que cela sonne — Schopenhauer a pourtant bien raison, quand il énonce parmi les conditions physiologiques du génie, entre autres, un bon estomac. Grâce à mon extraordinaire sobriété, je me suis assez bien conservé cet organe indispensable. Cependant dans le mal de Berlioz je prévis la probabilité du mien propre et j’étais fort effrayé quand je quittai le pauvre homme.

Il m’a fallu encore donner à mes Français Tannhäuser, jusqu’à la moitié. L’effort fut grand, avec la prédominance de mes peines morales si amères ; le lendemain, un petit écart de régime (un verre de vin rouge avec le bouillon du second déjeuner), et ce fut aussitôt une véritable catastrophe, qui m’abattit absolument. Comme j’étais couché là, extrêmement faible, attaqué jusqu’à la moelle centrale du corps, je sentis soudainement un bien-être divin. Évanouis tous chagrins, tous soucis, tout vouloir et devoir : harmonie parfaite entre le