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89.

Lucerne, 24 Août 59.

Mais, mon enfant, qu’est-ce qui vous prend de voir ou de désirer en moi un sage ? Je suis l’être le plus frivole qu’on puisse imaginer. Comparé à un sage, j’aurais l’air presque d’un criminel, et cela précisément parce que je sais tant de choses, notamment que la Sagesse est si désirable, si excellente. En revanche cela me donne l’humour, qui m’aide à franchir des abîmes, tels que le plus sage même n’en aperçoit pas. Pour cela je suis poëte et — ce qui est pire encore — musicien. Imaginez-vous maintenant ma musique, avec sa sève fine, toute fine et mystérieuse, s’insinuant par les pores les plus subtils de la sensation jusqu’à la moelle de la vie, et y envahissant tout ce qui ressemble à de l’intellect ou à l’instinct de la conservation soucieux de lui-même, emportant tout ce qui appartient aux illusions de la personnalité et ne laissant que le soupir merveilleusement sublime de l’aveu d’impuissance : comment serais-je un sage, alors que je ne me sens à l’aise que dans pareille outrecuidance ?


Mais je veux vous dire une chose. Des princes, des peuples des quatre coins du monde se rendaient au temple de Delphes pour consulter l’oracle. Les prêtres étaient les sages qui leur communiquaient celui-ci ; mais eux-mêmes le recevaient d’abord de la Pythie, lorsque celle-ci était en proie au délire prophé-

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