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pas voilée mais avouée. Quiconque peut encore y assumer une mine grave, espérer et vouloir, est encore profondément enfoui dans les brumes de l’illusion. Chez Herwegh tel est toujours le cas ; mais cela se dérobe sous le zèle qu’il met à combattre, à déprécier les aspirations erronnées d’autrui, et à ce jeu-là il devient spirituel. Je dus rire aussi de ses citations de Shakespeare, ce qui me conduisit à mon thème favori, la société des grands esprits, qui, après tout, nous réconcilie encore le mieux avec le monde. Ah ! le merveilleux sourire spirituel de Shakespeare ! Ce dédain divin du monde ! C’est réellement la suprême hauteur, à laquelle l’homme puisse s’élever hors de la misère ! Le génie ne peut faire plus : seul le saint pourrait encore aller plus loin. Mais il est vrai aussi que celui-ci n’a plus besoin d’ironie !

Moi pareillement, je ne me sens jamais guéri de mes souffrances, que quand ce sourire me traverse l’esprit, lequel, en certaines circonstances, lors de la perte d’illusions exceptionnelles, peut devenir un rire cordial. En politique je me surprends parfois à prendre tout trop au sérieux ; le moindre espoir dans l’intelligence et la bonne volonté des hommes séduit, il nous mène toujours en des chemins de traverse, dont on ne peut revenir assez vite, parce que sur ces chemins-là on en arrive à être injuste envers le genre humain. Il faut se

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