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purement poétique, la différence de plan et d’exécution doit être si fondamentalement grande, que le premier, considéré de la même façon que l’autre, doit rester absolument incompris quant à sa véritable signification — du moins avant d’être complété par la musique. Rappelez-vous ce que je vous ai écrit au sujet de cette différence, dans la lettre sur Liszt,[1] à l’occasion de la scène de Roméo et Juliette de Berlioz. Justement ces nombreux petits traits, par lesquels le poëte doit rapprocher son sujet idéal de la vie ordinaire, sont précisément omis par le musicien, qui s’empare, à titre de dédommagement, des détails infinis de la musique, par le moyen desquels il présente son sujet, idéellement fort éloigné, d’une façon persuasive à l’expérience sentimentale des gens. Mais la différence est incommensurable quand il s’agit du poème pur, au point de vue de la forme, du moins. Sans les nombreux petits détails, presque mesquins, de la vie ordinaire, de la politique, de la société, oui, du ménage même et de ses besoins, que Gœthe emploie dans le Tasse, il ne pourrait absolument pas donner corps à son idée. Mais voici le point, où chacun comprend, où chacun peut rattacher une imagination, une expérience, et se trouve, peu à peu, si bien en pays de connaissance, qu’il est conduit insen-

  1. Voir R. Wagner : Écrits 5, 250 et suiv.
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