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À Chinsura une pauvre femme se jeta dans le Gange avec ses deux petits enfans sous les bras et s’y noya avec eux, par l’impuissance où elle se voyoit de satisfaire à la faim cruelle qui les tourmentoit. Les bords du Gange étoient couverts de cadavres, et de personnes qui, à moitié vivantes encore, mais trop foibles pour se défendre, y devenoient la pâture des jakhals. Cela eut lieu dans Chinsura même : un pauvre Bengalois malade s’étant couché dans la rue, sans qu’on lui prêtât la moindre assistance, fut attaqué et dévoré, tout vivant, par ces voraces animaux ; et quoiqu’il restât à cet infortuné assez de force pour appeler du secours, personne ne daigna sortir de chez soi pour le défendre.

Il est rare qu’un Bengalois vienne à l’aide d’un autre, à moins que ce ne soit son parent ou son ami particulier ; et leurs services se bornent alors à le porter sur une des rives du Gange, pour qu’il y meure, ou qu’il soit entraîné par le courant de ce fleuve ; car ils s’imaginent, du moins la plupart d’entre eux, que ses eaux servent à purifier le moribond et à préparer la transmigration de son âme dans le corps de quelque être plus fortuné.

Cette famine provenoit en partie de la mauvaise récolte du riz de l’année précé-