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Étant arrives, au coucher du soleil, à la branche de Chagadda, nous y entrâmes, pour passer la nuit, parce que nous craignons d’être surpris par un orage, le vent commençant alors à fraîchir beaucoup, avec un ciel fort noir. Nous attachâmes notre badjerah avec des cordes aux deux rives de la branche, à cause que ces bâtimens, qui ont peu de quille, chavirent facilement.

Avant que l’orage ne vint à nous, nous fîmes une tournée à terre, et vîmes brûler trois corps de Bengalois : ce sont les plus proches pareils du défunt, ou ses fils s’il en a, qui lui rendent ce dernier devoir. Pendant la cérémonie ils se tiennent accroupis sur leurs talons et fument leur gorgor, en attisant le feu avec la plus grande indifférence, comme s’ils ne faisoient que rôtir quelque animal. Quand le cadavre est bien consumé, ils en jettent les cendres dans le Gange. Ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter le bois nécessaire pour cette espèce d’holocauste, posent leurs parens sur les bords du fleuve, pour servir de pâture aux jakhals et autres bêtes féroces. Ces animaux se rendent chaque jour à la nuit tombante des bois vers la rivière, où ils font entendre d’horribles hurlemens, pendant qu’ils se battent entr’eux pour se disputer leur proie.