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ET A LA CHINE. Liv. IV.

Cet ordre ou plutôt cette discipline sévère fit admirer les Chinois, & on regarda comme sage politique la rigueur dont ils usèrent envers les Européens : mais quel est donc cette administration si sage & si vantée ? Un Étranger est soumis aux loix du pays, mais par une singularité bizarre, il ne lui est pas permis de les réclamer ; le Chinois lui-même n’en a pas la liberté : s’il a des débiteurs, il ne peut que leur envoyer les lépreux, sans qu’ils puissent les chasser de leurs maisons. S’il veut plaider, il se ruine pour enrichir les dépositaires de la justice : le Mandarin se nourrit des dépouilles de ceux qui lui sont subordonnés ; ces suppôts de la justice vivent aux dépens du Peuple, & le Peuple est misérable.

Un Mandarin passant dans une ville, fait arrêter qui lui plaît, pour le faire mourir sous les coups, sans que personne puisse embrasser sa défense : cent bourreaux sont ses terribles avant-coureurs, & l’annoncent par une espéce de hurlement. Si quelqu’un oublie de se ranger contre la muraille, il est assommé de coups de chaînes ou de bambous.

Cependant le Mandarin n’est pas lui-même à l’abri du bâton ; l’Empereur lui fait donner la bastonade pour la plus légère faute. Cette gradation étend les chaînes de l’esclavage jusqu’aux Princes du sang. Pour montrer leur soumission, les plus grands Mandarins portent toujours avec eux l’instrument de leur supplice ; ce sont des chaînes & un coutelas renfermés dans un coffre, couvert de toile peinte & porté par deux        Pl. LXXXII. hommes qui les précèdent : si l’Empereur les mande, ils sont obligés de se couvrir de ces chaînes, & de paroître en cet état pour lui prouver leur obéissance. Si le Tribunal des Censeurs appellé par les Jésuites le Conseil des Sages, & qui, à ce