Georges : Laissez, laissez ma mère ! Docteur, je crois en vous, et je suis prêt à vous suivre.
Éva : Georges, tu nous abandonnerais ! Elle qui t’a recueilli, aimé comme son enfant… Et moi, Georges.
Ox (avec force) : Allez, priez, pleurez, amollissez son cœur, affaiblissez son âme et rejetez dans l’enfance ce fils d’Hatteras, dont j’allais faire un homme.
Mme de Traventhal (à Éva) : Grand Dieu.
Georges (avec force) : Fils d’Hatteras, avez-vous dit ?… Je suis le fils d’Hatteras, le fils de l’audacieux navigateur qui s’est élevé jusqu’au Pôle Nord ?
Ox : Oui, oui, cet homme illustre était ton père !
Georges : Mon père ! lui dont je dévorais les merveilleux récits !… Lui, que j’aurais voulu égaler.
Ox : Et que tu dépasseras si tu le veux.
Georges : Ah ! rien ne m’arrêtera plus désormais.
Mme de Traventhal : Hélas ! tout est perdu.
Éva : Cet homme est le mauvais génie de notre famille.
Ox (à part) : Maintenant il est à moi !
Scène VI
Maître Volsius : Pardon, Mesdames et Messieurs, je suis bien ici chez Mme de Traventhal ?
Mme de Traventhal : Oui, Monsieur, puis-je savoir ?
Volsius : Madame, en sortant de la cathédrale j’ai par hasard trouvé ce livre d’heures et pensant qu’il appartenait à quelque personne du château… j’ai pris la liberté… Il est à vous, peut-être, Madame ?
Mme de Traventhal : Non…
Volsius (à Ox) : À Monsieur, alors ? Oui, ce doit être à Monsieur.
Ox (reculant) : À moi ?…
Volsius : Prenez… mais prenez donc, Monsieur ?
Ox (reculant toujours) : À moi ce livre… non… non ! vous dis-je.
Volsius : Oh ! ne craignez rien, il ne brûle pas les doigts !
Éva (s’avançant) : C’est mon livre d’heures que j’ai oublié ce matin à l’église… et je vous remercie de me l’avoir rapporté…
Ox : Qui êtes-vous donc, Monsieur ?
Volsius : Moi, Monsieur, je suis l’organiste de la cathédrale.
Éva : Maître Volsius !
Tous : Maître Volsius.
Georges : Volsius… le grand artiste !…
Volsius : Volsius, l’humble organiste, Monsieur.
Ox (à part) : Que vient-il faire ici ?
Éva : Ah ! Monsieur ! que de fois nous vous avons entendu à la cathédrale ! que de fois nous avons été pénétrés par la sublimité de vos accords.
Volsius : Mademoiselle, je ne suis qu’un Pauvre artiste.
Mme de Traventhal : Auquel le Château d’Andernak sera toujours ouvert.
Ox (à part) : Nous verrons cela.
Mme de Traventhal (présentant) : Ma petite fille Éva.
Volsius : Mademoiselle.
Mme de Traventhal (présentant Georges) : Son fiancé… Georges…
Georges (vivement) : Georges Hatteras.
Volsius : Fils du célèbre capitaine Hatteras ?
Georges (s’animant) : Oui… Oui ! C’est mon père… mon père dont je vais égaler… dépasser les découvertes, grâce au savant docteur Ox.
Volsius (se retournant vers Ox) : Le docteur Ox !… j’ai beaucoup entendu parler du docteur Ox !… vous allez bien docteur Ox ?
Ox (lui tournant le dos) : Très bien… maître… Volsius !
Volsius : On dit monsieur le docteur que vous avez le pouvoir de donner au corps humain la faculté d’aller à travers l’impossible.
Ox : Et l’on dit vrai, maître Volsius.
Volsius : Et de s’élever jusqu’à la connaissance de ces mystères que Dieu semble s’être réservés à lui seul ?
Ox : Oui, nous pénétrerons ces impénétrables mystères.
Volsius : Et vous offrez au fils du capitaine Hatteras de reprendre pour son compte ces tentatives qui ont échoué, même dans les légendes mythologiques, de recommencer les expériences d’Icare ?
Ox : Oui… et sans se briser les ailes.
Volsius : Les aventures de Prométhée ?…
Ox : Oui et sans risquer les serres du vautour.
Volsius : Et les efforts des Titans ?…
Ox : Oui… et sans craindre d’être foudroyé par Jupiter !…
Volsius : Mais en vérité vous êtes très fort !
Tartelet (à part) : Tiens mais c’est l’organiste qui m’a l’air d’être le plus malin !