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arrivé tout nouvellement avec sa fille, des régions les plus éloignées d’Altor (Il montre l’habitation à droite). Il ne vous refusera pas l’entrée de sa chaumière !

Tartelet : Une chaumière !… cela… avec des murs incrustés de pierres fines ?…

Valdemar : Et un chaume en or !… Mais, nous ne sommes que des mendiants ici. Mon diamant n’a donc plus aucune valeur ! Le voilà !

(Il le sort de sa poche)

1er Altorien : Des diamants vous pourrez en ramasser partout de plus gros et de plus beaux que celui-ci !

Valdemar : Ah ! bah !…

1er Altorien (le regardant) : Nous n’en voulons même pas pour paver nos routes.

Valdemar : Ça ne vaut pas un simple pavé, je suis ruiné alors ! et je ne le garderai pas plus longtemps… Ah ! mais non !… (il le jette) Ah ! mais non !…

Tartelet : Eh bien ! moi, j’ai envie de le conserver comme souvenir du centre de notre globe. (Il le ramasse.)


Scène III

Les mêmes, Volsius.
(Volsius apparaît sur le seuil de la porte sous le costume d’un Altorien.)

Volsius : Des étrangers ?

Tartelet : Des habitants de la terre, Monsieur.

Volsius : La terre !… une planète de vingt-cinquième grandeur qui n’est éclairée que par un soleil !…

Valdemar : Il trouve que ce n’est pas assez !

Tartelet : Pardon, Monsieur, vous en avez donc plusieurs ici ?

Volsius : Ici, il y en a deux, et six lunes se lèvent successivement sur les horizons d’Altor.

Tartelet : Deux soleils ?

Valdemar : Six lunes !… En sorte que si l’une des six lunes se dissilune, non se dissimule…

Tartelet : Il vous en reste cinq. Vous semblez parfaitement connaître la planète que nous venons de quitter !

Volsius : Oui, nous la connaissons !… Depuis deux cent mille ans que nos générations se succèdent, le progrès, ici, est arrivé, en toutes choses, au plus haut degré et nos télescopes dont le grossissement est pour ainsi dire sans limites nous permettent de voir votre terre comme si elle était à moins d’une lieue !

Tartelet : C’est admirable !

Volsius : Mais il y a certains points sur lesquels nos savant voudraient être fixés : Qu’est-ce que c’est qu’une sorte de ville où l’on aperçoit une butte qui la domine, un fleuve sinueux qui la traverse, des monuments, des places, et partout du monde, beaucoup de monde, s’agitant dans le brouillard pendant l’hiver, et dans la poussière pendant l’été ?

Tartelet (à part) : Une ville qu’on n’arrose pas. Ce doit être Paris.

Volsius : Nous y avons distinctement aperçu une grande place avec un pont au bout et en face de ce pont, une sorte de Palais dans lequel se rassemble une foule de gens affairés qui doivent beaucoup parler et ne jamais s’entendre.

Valdemar : Je connais ce pays-là, j’y suis allé. Le pont se nomme le pont de la Concorde et le palais qui est au bout, le palais de la Discor… non, la chambre des Députés.

Tartelet : Oui, c’est le Palais du Corps législatif (à part) Qu’allais-je y faire ?

Volsius : Que fait-on dans ce Palais ?

Valdemar : Ce qu’on fait ?… on défait des Ministères.

Volsius : Il semble aussi que, de temps en temps, on se bouscule dans cette ville ; on se bat puis on s’embrasse, puis on se bat de nouveau puis on s’embrasse encore…

Tartelet : Plus de doutes, c’est la Capitale de notre belle France. Paris !

Valdemar : Paris… manger du bœuf… etc…

Volsius : Votre pays alors, n’est pas facile à gouverner !

Tartelet : Et le vôtre, Monsieur ?

Volsius : Le nôtre, c’est différent… il se gouverne tout seul !

Tartelet : Tout seul ?

Volsius : Oui, nous avons, depuis quelques milliers d’années, essayé de toutes les formes de gouvernement : gouvernement absolu, renversé par la royauté constitutionnelle… Gouvernement constitutionnel : renversé par la République…

Tartelet : Et la République elle-même ?

Volsius : Renversée par les républicains !

Tartelet : Et enfin, vous en êtes arrivés ?

Volsius : À ne plus avoir de gouvernement du tout.

Valdemar : Et ça marche ?

Volsius : Ça marche parfaitement !… Ça marche trop bien même ! Car à force de progrès, tout le monde est devenu savant. Les cordonniers font des vers et les boulangers de l’astronomie, nous manquons d’ouvriers et nous serons forcés d’en venir à décréter l’ignorance obligatoire.

Tartelet : L’ignorance obligatoire ?

Volsius : En plus, nous avons un excès de population qui devient très embarrassant car elle s’accroît tous les jours et l’on ne meurt chez nous