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simple. Vous savez que Georges et Éva sont fiancés, ils se marieront un jour ou l’autre, bientôt peut-être et… dans l’avenir… (bas) Est-ce que vous n’apercevez pas toute une classe de jolis petits élèves ?

Tartelet : Ah ! oui, oui, Je vois, je saisis !… prendre de jeunes enfants dès le bas âge, leur enseigner à bien placer leurs jolis petits pieds dès qu’ils viennent au monde, développer leurs grâces enfantines, pour les préparer aux grâces de l’adolescence, quelle joie, quel rêve, quel bonheur.

Mme de Traventhal : Il se réalisera monsieur Tartelet. Vous voyez donc bien que vous ne pouvez pas nous quitter. Que feriez-vous d’ailleurs ? Vous retourneriez, courir le cachet a Paris.

Tartelet : À Paris, oh ! non, Madame, non !… On ne danse plus la-bas, on saute et voila tout.

Éva : On saute ?

Tartelet : Oui, Mademoiselle, oui. Et ce n’est pas seulement dans les salons, on saute à la banque, on saute à la bourse, on saute partout… nous avons même d’habiles chorégraphes qui font sauter les préfets, les ministres, et qui sont eux-mêmes de fameux danseurs.

Mme de Traventhal : Que nous dites-vous là.

Éva : Ainsi la danse ne se pratique plus a Paris.

Tartelet : À Paris, Mademoiselle, à Paris, on ne connaît plus que la danse des écus !

Éva : Chut… voici Georges.


Scène III

Les mêmes, Georges.
Il rentre par la gauche pensif, sombre, sans voir personne, va s’asseoir à la table et feuillette machinalement les livres ouverts sous ses yeux.

Éva (à part) : Oh ! mon pauvre ami !

Mme de Traventhal : Tu as raison, il est plus accablé que jamais.

Georges (les mains sur les cartes) : Ils ont pénétré là, ces héros extraordinaires, dans les entrailles de la terre, sous les mers, à travers l’espace ! Lidenbrok, Nemo, Ardan, là où personne n’avait mis le pied avant eux ! Et cet autre le capitaine Hatteras, le conquérant du Pôle Nord, vers lequel je ne sais quelle étrange sympathie m’attire plus vivement ! Et moi qui me sens la force de les égaler, de les surpasser peut-être, je n’ai rien fait encore… rien !

(Il demeure accablé la tête dans les mains.)

Éva (qui s’est approchée de lui) : Ta main est brûlante, Georges.

Georges (relevant la tête) : C’est toi Éva !… Mme de Traventhal) C’est vous… ma mère.

Mme de Traventhal : Tu souffres, Georges ?

Georges : Oui… C’est comme une fièvre incessante qui me consume. Contre laquelle tout remède humain serait impuissant.

Éva : Pas même l’amitié ?

Mme de Traventhal (bas, lui montrant Éva) : Pas même l’amour ?

Georges : Éva !… (allant à elle) Ma chère Éva, je t’aime tu le sais, mon cœur est à toi, il est a vous ma mère, mais mon imagination est plus forte que lui ! À chaque heure de la nuit ou du jour, elle m’emporte loin de ce château, loin de ce pays, au-delà des limites terrestres presque dans les mondes inconnus, et j’entends une voix qui me crie : plus avant, plus loin, plus loin encore !

Éva : Calme-toi, Georges, je t’en supplie ! Ah ! si tu m’aimais réellement.

Georges : Je t’aime Éva ! Nos deux existences n’en feront qu’une un jour… mais après la réalisation de mes rêves !… maintenant, je ne t’appartiendrais pas tout entier !… je le sens… j’irai d’abord où ma destinée m’entraîne.

Tartelet : Et il faudra de fameuses jambes pour le suivre !