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l’a fait de l’imagination de Georges, non pour lui rendre le calme, non pour le guérir, mais pour le perdre.

Tartelet : Et dans quel intérêt ?

Éva : Cet homme est celui qui s’attachait sans cesse à mes pas…

Tartelet : Lui… Ah ! je comprends ! Il ose vous aim… Ah ! si je le pouvais, M. le docteur Ox, avec quelle jolie danse le maître à danser vous ferait faire connaissance.

Éva : Ne vous attaquez pas à lui, mon ami ! Il est doué d’un pouvoir étrange, surnaturel… (Ox paraît au fond.) Tout en lui m’épouvante ! l’impérieuse domination de sa voix, l’irrésistible fascination de son regard… (Ox est descendu lentement et s’approche de Tartelet.)

Tartelet : Le fait est qu’il a dans ses yeux, je ne sais quelle expression diabol…

Éva : Lui !…

Tartelet (apercevant Ox qui le regarde en face) : Une expression diabol… non… je… je veux dire…

(Ox étant le bras et lui fait signe de s’éloigner.)

Tartelet : Permettez, M. le doc… vous désirez… vous voulez… (à part) Oh ! ce regard… ce regard…

Ox : Laissez-nous !

Éva : Restez, M. Tartelet.

Ox (plus impérieux encore et regardant Tartelet bien en face) : Obéissez !

Éva : Non… Non…

Ox (même jeu) : Partez ! je le veux !

Tartelet : Qu’ai-je donc ? je tente vainement de… je ne peux pas… je ne peux pas !…

(Tartelet sort à reculons.)


Scène II

Éva, Ox.

Éva (appelant) : Georges !… Georges !…

Ox : Georges est loin d’ici et ne peut vous entendre…

Éva : Je saurai bien le retrouver ! (appelant) Georges.

Ox (lui barrant le chemin) : Il faut que je vous parle !… Éva… Savez-vous pourquoi, naguère, je vous suivais en tout lieu ? Pourquoi j’errais autour de votre demeure ?

Éva : Je ne veux pas le savoir !

Ox : Pourquoi je vous aime !

Éva (avec ironie) : Vous m’aimez, vous ?

Ox : Si je suis venu dans ce château d’Andernak, ce n’était ni pour votre aïeule, ni pour votre fiancé Georges ! C’était pour vous, pour vous seule ! je voulais me rapprocher de vous, je voulais vous voir, vous entendre parce que je vous aime !

Éva : Assez, plus un mot !

Ox : Et savez-vous pourquoi je lui ai révélé, à ce Georges, le nom de son père, pourquoi je l’ai poussé dans cette voie, pourquoi je lui ai donné le pouvoir d’accomplir tous ces rêves ? Parce que je ne veux pas que Georges devienne votre époux !… (avec force) et parce que je vous aime.

Éva : Lorsque Georges apprendra quels sont vos desseins, et pourquoi vous le poussez vers ce monde impossible, la raison lui reviendra, et il vous chassera comme un mauvais génie qui s’est enfin démasqué.

Ox : Vous vous tairez, Éva !… Parler ce serait nous mettre en face l’un de l’autre, comme deux rivaux ! et vous savez bien que la lutte serait plus redoutable pour lui que pour moi.

Éva : Je parlerai…

Ox : Vous le tuerez alors… je n’aurai plus besoin de le conduire à la folie… vous l’aurez conduit à la mort !

Éva (épouvantée) : Mon dieu, Georges ! Georges ! cet homme te tuerais.

Ox : Comprenez-moi donc ! Éva ! je vous aime ! je vous aime !

Éva : Ah ! ne profanez pas ce mot ! Menacez-moi ! j’aime mieux votre colère que vos menaces.

Ox : Eh bien !… soit ! Plus de vaines prières, mais souvenez-vous de mes dernières paroles !… Bientôt, vous viendrez vous-même implorer ma pitié pour ce Georges… Vous me supplierez de l’arrêter sur le chemin qu’il parcourt ! Vous me demanderez grâce pour sa raison… pour sa vie !… Mais, il sera trop tard !

(Il s’éloigne.)

Éva : Pitié ! pitié pour lui…

Ox (se retournant) : Il sera trop tard !

(Il sort)


Scène III

Éva.
(Éva descend sur la scène, éperdue, brisée.)

Éva : Mon Dieu ! Que faire ? Que devenir ? Il le tuera !… Ah ! les forces m’abandonnent !… Je ne puis plus… Je me sens mourir (appelant) Georges ! Georges ! Georges !… (Sa voix s’affaiblit, et elle tombe privée de sentiments. À ce moment derrière les rochers, au fond, sur les côtés, reparaissent les sauvages habitants de cette région souterraine. Ils s’avancent avec précaution. L’un d’eux, qui est le chef, les guide jusqu’au milieu de la scène. Là, est la jeune fille inanimée. Ces sauvages se sont approchés d’elle. Ils la regardent avec la