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ACTE 1


1er Tableau
Le Château d’Andernak


Grande salle d’un château danois d’architecture saxonne. Portes au fond et à gauche. À droite un orgue dont le buffet est appuyé au mur. Il fait nuit.


Scène I

Mme  de Traventhal, Éva.
Mme  de Traventhal est assise à gauche et s’occupe d’un travail de tapisserie. Éva devant une table regarde des cartes et des livres qu’elle feuillette.

Éva : Les voilà donc ces livres de voyages, ces cartes que notre pauvre Georges parcourt sans cesse. Les pages en sont couvertes de notes qui n’indiquent que trop le trouble de son esprit ! Voyez grand-mère ! partout des coups de crayon donnés d’une main fébrile ! Ces voyageurs ont découvert les régions les plus reculées de notre globe ! Ils ont risqué leur vie pour les visiter d’un pôle à l’autre ! Et cela n’aurait pas suffi à son ambition à lui ! Sur cette marge ces mots : « Plus avant ! Plus loin ! Plus loin encore ! » Jamais hélas ! Georges ne retrouvera le calme de l’esprit !

Mme  de Traventhal : Éva ma chère fille, il ne faut pas désespérer, Georges t’aime, il se sait aimé de toi ! Il n’a jamais connu d’autre famille que la nôtre depuis le malheur qui a frappé son père dont la raison s’est perdue dans ses ambitieuses entreprises. Mais voici bientôt vingt ans que George vit avec nous, au château d’Andernak, nos soins finiront par modérer son imagination exaltée. Il comprendra que le bonheur est ici, dans la vie de famille et Dieu fera le reste.

Éva : Espérons, grand-mère, espérons.

Mme  de Traventhal : Mais il m’importe qu’il ignore toujours de quel sang il est né.

Éva : Fils du capitaine Hatteras que son audace a conduit jusqu’au Pôle Nord et qui est venu s’éteindre hélas ! dans un asile d’aliénés Oh ! vous avez raison, qu’il ne sache jamais, son esprit déjà trop exalté pourrait en éprouver une fatale atteinte.

Mme  de Traventhal : Le pauvre enfant… Où est-il en ce moment ? Comment a-t-il passé la nuit ?

Éva : Toujours très agité, notre vieux Niels m’a dit qu’il s’était promené longtemps dans sa chambre. Il prononçait des paroles incohérentes, et ces mots qui résument toute sa pensée : Plus avant ! Plus loin encore ! Que faire ? Ne pourrait-on consulter un médecin ?

Mme  de Traventhal : J’y ai songé déjà. Mais pour ne pas montrer à Georges nos inquiétudes à son sujet c’est pour moi que viendra ce docteur.

Éva : Pour vous…

Mme  de Traventhal : J’attends sa visite ce matin même, je l’ai fait appeler par ce bon M. Tartelet.

Éva : Par M. Tartelet ?

Mme  de Traventhal : Qui paraissait tout heureux qu’on voulût bien l’employer à quelque chose.

Éva : Je le comprends. Ce brave homme arrivait de Paris sans recommandations et sans ressources, il se présentait en qualité de maître à danser.

Mme  de Traventhal : Oui, professeur de danse et de maintien.

Éva : Vous l’avez accueilli ou plutôt recueilli et comme personne, ici, n’a le cœur à la danse…

Mme  de Traventhal : Il est resté parmi nous en qualité d’ami…

Éva : Mais un ami bien inquiet, bien tourmenté, ma mère.

Mme  de Traventhal : Pourquoi ?

Éva : Parce que sa délicatesse s’effarouche des appointements qu’il touche sans que nul ne profite de ses leçons.

Mme  de Traventhal : Bon ! — n’est-il pas maintenant presque de la famille.

Tartelet : Et… avec cela, Madame ?

Mme  de Traventhal (étonnée) : Avec cela, quoi ?

Tartelet : Est-ce que vous n’auriez pas… quelque autre petite chose à me commander ?

Éva : À vous commander, monsieur Tartelet ?

Tartelet : Oui, Mademoiselle, oui… Il ne faut pas croire que je ne sois bon qu’à faire des entrechats et racler du violon. Un vieux garçon comme moi forcé de se suffire à lui-même doit connaître bien des petites industries, je sais réparer les meubles avariés, recoller les faïences