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gêné. Vous savez que je déteste raconter mon passé !… Et comme, depuis huit ans, j’étais sans nouvelles de madame des Moustiers…

— Vous l’aimez ?

— Quelle question ! Aime-t-on les gens qui peuvent passer huit ans sans s’occuper de vous ! Je l’ai aimée jadis ; mais, ayant reconnu la vanité de cet exercice, j’y ai définitivement renoncé. Que vous importe tout cela ?

— Elle m’a frappé, cette femme… Elle est particulière ! Je ne sais pas si on peut dire qu’elle soit jolie… c’est autre chose, mieux encore ; davantage, en tout cas. Voulez-vous savoir à qui elle ressemble ? À la duchesse de Montbazon.

— Laquelle ?

— Celle du poème de Gaspard de la Nuit… La dame exquise qui attend l’homme qu’elle aime, et qui meurt de comprendre qu’il ne viendra pas… « Alors madame de Montbazon, fermant les yeux, demeura immobile. Elle était morte d’amour, rendant son âme dans le parfum d’une jacinthe… » Les Fantaisies de Gaspard de la Nuit, c’est un des premiers livres français que j’aie lus, le premier que j’aie senti… J’avais dix-sept ans ; cette phrase, que je viens de vous dire, m’est entrée dans le sang à la manière d’un virus qu’on ne peut plus éliminer. J’en ai été malade tout un printemps, là-bas, en Norvège ; j’étais halluciné par cette vision. Elle est restée en moi. Elle apparaît lorsque je suis souffrant, exalté, ou plus triste que de coutume. C’est une hantise poignante, et délicieuse aussi. Tenez, pendant tout le temps du procès d’Henry, elle ne m’a pas quitté, et, le jour de l’exécution, je l’ai vue à côté