Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous l’ennuyez. Pensez-vous qu’elle n’ait rien à faire que de vous divertir ?… Si elle est gentille, bien gentille, à un moment où ça lui dira… Car moi aussi, Léo, j’ai une terrible envie de t’entendre… Le concerto de Bach… tu sais, le concerto en mi majeur… ce serait fameux !

— Je jouerai pour toi… peut-être… Tu aimes la musique…

— Eh bien ? et moi, mademoiselle ! croyez-vous que je ne l’aime pas ? s’écria André. Ce serait d’une injustice !… J’en ai la passion ! La musique ! mais c’est le seul moyen que nous ayons d’échapper à tout ce qu’il y a de conventionnel dans notre personnalité acquise… C’est par la musique qu’on retrouve en soi, pour des secondes, l’énergie de l’être primitif, celui que nous avons tous été à quelque moment de l’histoire humaine, et que n’avaient pas encore anémié la civilisation, la morale, toutes les sottises qui naissent de la vie en société… Je n’ai qu’à regarder vos yeux, pour être certain que vous le sentez comme moi ; la musique donne l’illusion de tout désirer et de pouvoir tout étreindre… Vous vous souvenez de ce pauvre diable nostalgique, qui souhaitait que l’humanité tout entière n’eût qu’une seule tête, pour goûter la joie de la trancher d’un seul geste… Eh bien, il n’est pas d’homme digne d’être appelé un homme qui n’ait fait le rêve du cœur de toutes les femmes réuni en un seul et battant contre sa poitrine : le duo de Siegfried réalise pour moi celle envie-là ; il multiplie la sensation à tel point qu’on y possède l’amour total avec ses nuances diverses à l’infini réunies dans l’émotion unique…