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dans le chemin qui cerclait la pièce d’eau, madame des Moustiers l’examinait. Elle restait troublée des rudes paroles de Léonora. Sous toute cette emphase n’y avait-il pas une précise armature de vérité ? Se pouvait-il qu’elle fût la créature fragile, vaine, mauvaise, que Léonora décrivait en l’insultant ? Et elle-même, Léonora, quelle femme était-ce ? Jacqueline ne retrouvait plus rien de l’amie qu’elle croyait connaître comme un conte souvent relu aux heures de l’enfance où l’attention est vive. La discordance si évidente entre le tempérament et la volonté, qui apparaissait en mademoiselle Barozzi inquiétait son jugement. Cette beauté d’un caractère presque théâtral, cette véhémence passionnée, l’accent déclamatoire, tout le romanesque des façons de dire, de l’attitude, étaient en antagonisme si évident avec ce qu’elle cherchait à faire croire d’elle-même ! Mentait-elle, ou bien était-ce totale ignorance de son vrai personnage ?

Debout, immobile un instant, Léonora se découpait sur le fond des feuillages : mince, vigoureuse, d’une ligne fière, sa petite tête dressée sur son col haut, elle avait dans la simplicité de son attitude un style naturel d’héroïsme et d’orgueil ; c’était Diane irritée, la Walkure savante et terrible. Cette hautaine fille commandait un destin bizarre ; rien des douces médiocrités qui composent l’harmonieux bonheur de femmes bien exercées à leur rôle ne convenait pour elle. Quel ton d’ardeur en disant son amitié pour l’homme extraordinaire si étrangement surgi dans l’heure du désespoir ! Comme on devinait l’intensité des joies mentales où ensemble ils avaient communié ! Jacqueline songeait à sa propre existence. Quelle misère !