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parler, sans qu’il me vît… Il était si loin… si loin !…

Léonora se dressa d’une impulsion violente, et les bras croisés, ses minces narines crispées par le rythme difficile de sa respiration, marcha de long en large devant Jacqueline, qui, immobile, les mains inertes abandonnées sur ses genoux, la regardait.

— Et puis, Léo ? dit-elle au moment où mademoiselle Barozzi s’arrêtait.

Léonora vint se rasseoir auprès d’elle et, d’un ton bref qui peu à peu s’échauffait, elle reprit :

— Il y a dix-huit mois, dans une mansarde où nous avions passé la nuit auprès d’une agonie, il a pris un refroidissement… Il était tuberculeux, ça a marché très vite… Quelques jours à peine… J’aurais tant voulu le soigner, avoir son dernier regard, lui dire avant qu’il partît que, quant à moi du moins, son œuvre n’avait pas été vaine !… Mais sa sœur est venue s’installer auprès de lui, à la première nouvelle de sa maladie, et elle n’a pas permis qu’on l’approchât… Lorsque, avec quelques-uns de ses pauvres, je suis entrée dans la chambre où il était déjà préparé pour le cercueil, je ne l’ai pas reconnu. Son visage, travaillé par la maladie et par la mort, avait pris une expression d’ironie… Son cadavre semblait railler l’effort de sa vie… Et, en ces quelques jours, il était devenu vieux…

— Quel âge avait-il ? demanda Jacqueline avec un regard vif, aussitôt amorti.

— Trente ans… Attends-moi là, veux-tu ? Je vais marcher un peu.

Pendant qu’elle allait, de son pas rapide et libre,