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impatientes. Les cœurs et les consciences ne s’améliorent pas avec des conseils, ni même des exemples : il leur faut de la joie…

— Et après, chérie… Pourquoi te tais-tu ?

— Je songe… Ça me fait mal de dire le reste. N’importe, puisque j’ai eu la sottise de te parler de tout cela !… Ma vie a été absorbée ainsi pendant deux ans. Je n’étais en relations qu’avec des êtres qui avaient besoin qu’on soignât en eux de la maladie physique ou morale. Après nos travaux de la journée, nous nous réunissions souvent, monsieur Werner et moi, et nous causions dans la tranquillité de la nuit. Il semblait que les heures du jour ne nous appartinssent pas, mais à autrui, et que le soir venu nous rendît à notre amitié. Ces réunions-là payaient bien toutes les peines ! Quand il était las de me dire les paroles merveilleuses qui m’incendiaient le cœur, il se taisait et je me mettais au piano. Pour lui seul au monde j’ai chanté. Tandis qu’il m’écoutait, il lui arrivait d’entrer en un état étrange. On eût dit que ses yeux ne voyaient plus les choses de la terre, il pâlissait extraordinairement, son masque roidi s’ennoblissait comme celui des morts dans une paix magnifique et terrible. Il venait de ce visage une émotion surhumaine dont j’étais transportée. Je me sentais le rejoindre hors de la vie, ma voix était comme du feu et brûlait mes lèvres en y passant. Ai-je rêvé cela ? Était-ce réel ?… souvent j’ai cru voir une lueur blanche flotter autour de cette figure d’extase… Il me semblait que si je cessais de chanter je tomberais morte. Puis un moment venait où les larmes brisaient ma voix, je partais alors, très vite, sans lui