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vertit les riches et les rend pires. J’ai comme touché avec mes doigts des fibres mises à nu par les passions que l’on rencontre au centre de toute misère. J’ai connu des femmes désagrégées par la tyrannie de l’homme, stupéfiées par la vanité comme par un toxique, abîmées par l’amour. J’ai souvent causé avec des prostituées et parfois je les ai trouvées meilleures de cœur que les mondaines, et bien plus innocentes. L’abbé Werner, dont il n’était jamais question dans les endroits où la charité met des affiches et des drapeaux pour attirer les passants à des réunions de flirt, avait une clientèle immense et disparate de souffrants honteux. Ce n’était pas seulement du pain qu’on implorait de lui… Pour vaincre ma désespérance, il m’a envoyée vers des désespérés. J’ai compris quel sot orgueil cela est de bercer en soi une douleur qu’on imagine rare et précieuse, qu’il y a pire. Avec lui, j’ai tenté, pour soulager les détresses, de grands efforts souvent inutiles. J’ai expérimenté l’ingratitude sous ses aspects brutaux et fourbes… J’avais des révoltes et des colères ; lui, jamais ! Je n’ai pas une seule fois aperçu la mélancolie des désillusions sur le visage de cet être sublime… Il n’a pu m’enseigner le secret de son indulgence : — il y fallait son âme ! — À voir sa bienfaisance ardente, subtile, savante, méconnue si souvent, mon mépris des hommes a grandi, mais aussi j’ai admis l’excuse qu’ils ont de mal faire, et je me suis persuadée qu’il faut secourir toujours, et plaindre… quand on peut. C’est le bonheur qui produit la bonté ; ceux qui demeurent bons dans la souffrance sont des saints, et ce n’est pas pour la sainteté que sont bâties nos carcasses avides et