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— Qui était-ce ? interrogea madame des Moustiers d’une voix pressante. Que faisait-il là ?

Mademoiselle Barozzi respira profondément, puis, avec un accent d’ironie triste :

— Tu t’intéresses à l’aventure, dit-elle, ça a l’air d’une fin de chapitre pour un roman feuilleton, n’est-ce pas ?… Qui c’était ? Un prêtre, l’abbé Werner. Ce qu’il faisait là ? Il m’avait suivie… On a probablement une allure révélatrice quand on médite de se jeter à l’eau ; la mienne l’avait frappé au moment où — sans que je l’aperçusse — nous nous croisions sur le pont. Il m’avait observée de loin et, lorsqu’il m’avait vue descendre à la Seine, ne doutant plus de mon intention, il était venu… Voilà… Cinq minutes après, nous remontions ensemble vers le quai, nous rentrions dans la lumière… Jusqu’à trois heures du matin, j’ai marché près de lui, écoutant les choses qu’il disait… Ce qu’était le cœur de cet homme, nul autre que moi ne l’aura complètement su. Il avait le génie du dévouement. Sa vaste culture, l’acuité de son intelligence ne gênaient pas, bien au contraire, le jeu prestigieux de son imagination. Ses idées se faisaient vision, et il croyait à ces visions. Il avait un sens exaspéré de l’extra-naturel ; et, lorsqu’on vivait dans le rayonnement passionné de sa foi, on ne songeait guère à mettre en doute la certitude qu’il avait de son contact avec les choses de l’au delà. Il fascinait la raison par la force inouïe de sa croyance, et sa volonté tendre avait une énergie irrésistible. Sa famille, les gens de sa profession le jugeaient à demi fou. Il était malade, en effet, malade de sa gigantesque bonté qui brisait en lui l’équilibre vital… Tu penseras peut-être,