Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/50

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heure-là : lorsque je l’évoque, chaque sensation ressuscite si impérieusement qu’il faut que je les accueille, que je les examine toutes, l’une après l’autre, comme des amies graves à qui l’on est reconnaissant. Mais c’est fini, je vais dire les faits… Je m’étais arrêtée au bord de l’eau et je la regardais : ça file incroyablement vite, l’eau dans laquelle on va se noyer ; c’est fascinant, hostile d’une sorte de moquerie méchante qui donne le vertige… Mon calme avait cédé à une exaltation intense, mes muscles essayaient le mouvement qui précipite le corps en avant… Et puis… Je ne sais plus bien ce qui est arrivé ; j’ai dû avoir un arrêt de la pensée, car il y a un vide dans ma mémoire, comme si j’avais dormi debout quelques instants. Le choc d’une terreur soudaine m’a restitué la conscience… J’ai tout à coup senti que derrière moi il y avait quelqu’un. J’étais à quelques secondes de la mort désirée, et l’idée qu’il y avait dans l’obscurité un être que je ne voyais pas m’a fait une peur folle ! — Je me suis retournée, on a bougé dans cette ombre, une voix d’homme a dit : « Pourquoi voulez-vous mourir ?… » À l’instant même ma peur est tombée ; je suis restée immobile, gelée par une sensation indéfinissable ; c’était de la honte, je crois, autre chose encore, je ne sais, mais si fort que mes jambes tremblaient. L’homme est venu plus près et, comme je ne répondais rien, il a dit : « Savez-vous qu’aucune souffrance ne légitime la désertion de la vie tant qu’on garde la force de faire des œuvres de pitié ?… »

Léonora se tut : le souffle accéléré, l’œil fixe, elle regardait les lointains du parc.