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la mettaient à sec… Je n’étais pas bien gaie à cette époque-là, je t’en réponds ! J’avais le cœur fermé, dur et douloureux. Tout m’avait tellement blessée ! ton abandon, la déchéance morale de ma pauvre mère, et puis, comme je souffrais d’être une femme ! Comprends-tu : mépriser si furieusement la lâcheté de la femelle, son asservissement à l’homme, et se dire qu’on est bâtie de même sorte que les autres, que peut-être quelque jour on trouvera tout à coup en soi, parlant haut, un de ces mouvements impérieux, des bas instincts qui tarent les autres… Vivre dans la peur, l’horreur, le dégoût de cela… Ah ! quelles rages je mâchais dans ma solitude !

— On te faisait la cour, naturellement ? Tu es si belle !

— Quelle cour ! Oui ! On m’a offert de l’argent ; des hommes m’ont regardée avec de sales yeux de désir… Leur désir ! Ah ! j’en connais les mimiques équivoques, le masque sentimental !… Je sais, je sais si bien ! Ils m’ont révélé la grotesque abjection de ce qu’ils appellent l’amour et que, toutes, vous êtes si fières d’inspirer !

— Voilà comment on devient féministe ! dit Jacqueline avec un sourire hésitant.

— Voilà surtout comment on apprend à devenir libre !

— Pauvre chérie !…

— Il y a trois ans, ma mère est morte. Tu as dû lire ça dans les journaux. Elle allait à Milan pour chanter Yseult. Elle a été broyée dans un déraillement de train. J’étais à Pétersbourg, je n’ai même pas pu assister à l’enterrement. Nous étions séparées depuis