Page:Vontade - La Lueur sur la cime.pdf/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

acharnée à tirer un talent sérieux de ma gentille facilité de violoniste. J’aurais pu chanter, mais j’ai horreur du théâtre et le métier lui-même me répugne. Chanter, n’est-ce pas, c’est se pâmer d’extase pour de l’amour réalisé, ou bramer de désespoir pour de l’amour perdu. Et le meilleur résultat du plus grand talent, c’est d’exciter la sensualité des écouteurs… Quel dégoût j’ai de cela ! Jamais je n’ai pu m’accoutumer à entendre ma mère en public ; et pourtant elle avait du génie. J’aurais mieux aimé me prostituer que de me faire ainsi l’incitatrice de ces saletés ; c’eût été plus courageux, plus sincère et moralement équivalent… Après deux ans d’études, j’avais acquis une certaine virtuosité, de l’érudition musicale et un peu de style. Harrach, le maître avec qui je travaillais chaque fois que nos pérégrinations nous ramenaient en Allemagne, m’a fait entendre chez lui à des artistes. Tous m’ont conseillé d’aborder le public. C’était à Berlin. D’abord ma mère n’a pas voulu me le permettre ; elle était si chimérique ! Elle se persuadait que la destinée me réservait un mari de grande naissance et d’ailleurs chargé de millions… Pauvre femme !… C’est mon beau-père qui l’a décidée. Il goûtait fort l’idée que nous fussions deux pour rapporter de l’argent à la maison… Le succès a été rapide et d’assez bonne qualité ; j’ai eu des concerts, des séances de quatuor et des leçons. D’abord, j’ai exercé mon industrie dans les endroits où ma mère avait des engagements, puis, à vingt et un ans, j’ai pris ma liberté et voyagé seule. Je pouvais déjà gagner ma vie, et même aider un peu maman quand les maîtresses et les bijoux de mon beau-père