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dans son ignominie… Le type classique de l’homme entretenu… Plus jeune que ma mère, naturellement ! beau d’une grotesque beauté chevelue avec des prunelles énormes et trop luisantes, des dents trop blanches et qu’il exhibait dans un incessant sourire de fatuité imbécile : on avait envie de les lui casser dans la bouche d’un coup de poing… Il tirait vanité d’une espèce de nom d’aristocratie rastaquouère, il était bête avec ça, mais d’une finesse de valet vicieux… Complet, enfin ! Ma mère l’adorait… il la grugeait, la trompait… Ah ! les pauvres folles que sont les femmes ! Elle en était jalouse comme on est jalouse à quarante ans… J’ai compris tout cela immédiatement. Et comment aurais-je pu ne pas comprendre ? J’assistais à des scènes qui m’éclaboussaient le cœur… Comme c’était atroce ! Maman, qui gagnait beaucoup d’argent, se débattait dans la dette. C’étaient incessamment des reproches furieux, des cris, puis des pardons après les insultes, des recommencements de lune de miel, les yeux encore enflés par les larmes de la veille… enfin, l’histoire de ces ménages-là. Pendant trois ans, j’ai reçu des confidences torturantes et sans pudeur ; j’ai su ce que c’est qu’avoir honte du sang qu’on a dans les veines… J’avais tout de suite résolu de me faire une indépendance et je me tenais à l’écart le plus possible, travaillant dix heures par jour, enfermée dans la chambre d’hôtel, sans cesse différente, qui était pour moi l’asile. J’étais déjà bonne musicienne quand nous nous sommes quittées. Tų te souviens du brave père Schwob et de ses pronostics sur mon avenir d’artiste ? Il m’a rendu de bien grands services en me forçant à faire de la fugue et du contrepoint ! Je me suis