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— Je le pensais. Eh bien, donc, quand je vous ai quittée, j’étais ivre de colère et de souffrance. Les quelques minutes qu’il vous avait fallu pour descendre cet escalier avaient suffi à me remettre en face du vieux moi que vous veniez de briser et de dompter : j’ai eu un sursaut si violent que je n’ai pas pu y résister. Cela s’est augmenté après votre départ ; j’avais envie de vous tuer. À quel point je vous désirais ce jour-là ! Et comme, en vous abordant, j’étais sûr que vous aviez compris, accepté… Et après… Si vous saviez comment vous étiez, dans ce fiacre, avec le soleil couchant dans vos yeux qui riaient, les lèvres plus rouges de mes baisers, et cet air de triomphe calme, assuré !… Jamais je n’avais rien voulu comme je vous voulais, et, quand vous êtes partie enfin avec tant de mépris au pli de votre bouche, moi, qui dans les pires minutes, n’ai pas douté de moi-même, j’ai eu la certitude d’avoir touché ce point de la vie après lequel rien ne peut plus réussir. Vous m’êtes apparue comme le symbole de ma défaite irréparable, je me suis senti fini, sans énergie que pour une rage inutile… J’avais lu en vous si bien ! J’avais vu quel plaisir cruel vous preniez, non à mon amour, mais à me dominer… J’ai marché, marché, retournant en moi le couteau de ma pensée. Je suis rentré à dix heures du soir, sans m’être une fois arrêté, je ne pouvais pas : les grandes émotions me donnent un besoin égal de frapper et d’aller devant moi, sans savoir où, indéfiniment… Lorsque j’ai revu ce tableau qui vous ressemble, je me suis aperçu que quelque chose m’était arrivé pendant cette longue course : je vous avais comprise enfin.